Conclusion d’un deuxième accord de réparation au Canada

Blake, Cassels & Graydon LLP
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La Cour supérieure du Québec (la « Cour supérieure ») a récemment publié sa décision approuvant le deuxième accord de réparation au Canada. Cette décision et les modalités de l’accord de réparation en question fournissent de l’information précieuse sur le processus de négociation et d’approbation des accords de réparation. Elles fournissent également d’importants points de référence relatifs à la détermination des amendes et des obligations en matière de conformité auxquelles les organisations peuvent s’attendre lorsqu’elles règlent des poursuites criminelles canadiennes liées à la corruption étrangère au moyen d’un tel accord.

Les accords de réparation s’apparentent aux accords de poursuite suspendue aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ils constituent une solution de rechange par laquelle une organisation accusée d’avoir perpétré certaines infractions criminelles peut régler les accusations portées contre elle en acceptant de payer certaines amendes et/ou de respecter certaines obligations continues en matière de coopération et de conformité, sans enregistrer un plaidoyer de culpabilité.

Contexte

L’accusée (ci-après, la « Société ») est une société canadienne qui développe et fournit des technologies utilisées par des organismes d’application de la loi pour mener des enquêtes et des poursuites sur des crimes liés aux armes à feu. Elle exerce ses activités au Canada et à l’étranger.

Entre 2006 et 2018, la Société avait embauché des agents locaux à titre d’intermédiaires en vue de développer une relation d’affaires avec la Police nationale des Philippines. La Société a été accusée d’avoir versé, dans le cadre de cet arrangement, des pots-de-vin à des fonctionnaires par l’entremise d’agents locaux, ainsi que d’avoir falsifié ses dossiers pour dissimuler ces pots-de-vin. En particulier, la Société avait versé des commissions totalisant environ 4,4 M$ CA à ces agents locaux. De ce montant, environ 3,3 M$ CA avaient été distribués par les agents locaux sous forme de pots-de-vin. Durant cette même période, la Société s’était vu octroyer, par la Police nationale des Philippines, des contrats à hauteur d’environ 17 M$ CA.

La Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »), ayant pris connaissance du comportement de la Société, a lancé une enquête sur cette dernière. Le 21 septembre 2022, elle a annoncé qu’elle accusait la Société et les membres de la haute direction de cette dernière d’avoir enfreint la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (la « LCAPE ») et le Code criminel. La même semaine, à la suite de négociations menées sur une période de neuf mois, la Société a annoncé, de son côté, la conclusion d’un accord de réparation avec le Service des poursuites pénales du Canada (le « SPPC ») en vue de régler les accusations portées contre elle.

Décision

Un accord de réparation négocié par un accusé et un poursuivant doit être approuvé par le tribunal. Aux termes du régime des accords de réparation prévu au Code criminel, le tribunal doit être convaincu que les conditions ci-après sont réunies pour approuver un tel accord :

  • l’organisation fait l’objet d’accusations relativement aux infractions visées par l’accord de réparation;

  • l’accord de réparation est dans l’intérêt public;

  • les modalités de l’accord de réparation sont équitables, raisonnables et proportionnelles à la gravité de l’infraction.

À la suite d’un examen détaillé de ces facteurs, la Cour supérieure a approuvé les modalités de l’accord de réparation conclu par la Société et le SPPC, lesquelles modalités s’appliquent uniquement à la Société et non aux membres de la haute direction de cette dernière qui avaient également été visés par des chefs d’accusation. Cet accord règle deux chefs d’accusations de corruption d’agents publics étrangers de la République des Philippes en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers et un chef d’accusation pour avoir fraudé le gouvernement philippin au titre de l’article 380 du Code criminel. Aux termes des modalités de l’accord, la Société paiera un montant totalisant environ 10 M$ CA et sera assujettie à des mesures de conformité pendant quatre ans.

Principaux points à retenir

Les organisations souhaitant se renseigner au sujet du régime canadien des accords de réparation peuvent tirer d’importantes leçons de cette décision.

  1. Les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l’égard d’un accord de réparation soumis conjointement par un accusé et un poursuivant. Dans sa décision, le juge cite la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada au sujet de l’exercice de retenue judiciaire quant à l’approbation d’ententes conjointes sur la peine soumises dans un contexte d’affaire criminelle conventionnelle. Il conclut que les tribunaux devraient faire preuve d’une retenue similaire à l’égard des modalités des accords de réparation négociés par les accusés et les poursuivants. Dans les motifs de sa décision, le juge fournit les explications suivantes.

    • ​Les modalités de l’accord de réparation sont le fruit de négociations ardues menées sur une période de neuf mois.

    • Les modalités de l’accord cadrent avec l’objectif de favoriser la divulgation volontaire des actes répréhensibles, lequel objectif vise à encourager les organisations à se prévaloir du régime des accords de réparation si elles sont convaincues que les modalités d’un tel accord seraient approuvées par le tribunal.

    • Le rôle du tribunal dans l’approbation ou le rejet d’un accord de réparation proposé se limite aux faits présentés par les parties. Le tribunal n’est pas en mesure de recueillir et de confirmer de façon indépendante des faits extérieurs.

    • Les accords de réparation permettent d’indemniser les victimes, de priver les organisations d’avantages injustes, d’éviter que des litiges longs et complexes viennent accaparer le système de justice pénale et de fournir aux enquêteurs l’accès à d’importants éléments de preuve pour la poursuite des personnes impliquées dans les actes répréhensibles concernés.

Cette affaire démontre que les juges s’en remettront à l’accord des parties, sous réserve des exceptions énumérées ci-dessus. Les tribunaux peuvent toutefois exprimer des préoccupations au sujet de l’accord et demander aux parties d’y répondre en modifiant l’accord proposé ou en soumettant des faits supplémentaires. De telles révisions ont eu lieu non seulement dans la présente affaire, mais aussi dans le cadre du premier accord de réparation conclu au Canada.

  1. L’indemnisation des victimes n’est pas toujours requise. Dans sa décision, la Cour supérieure a souligné l’importance de l’indemnisation au profit des victimes pour les comportements criminels de l’accusé. Cependant, l’accord de réparation n’identifie ni n’indemnise de victimes. En effet, dans cette affaire, le SPPC et la Société ont soutenu conjointement qu’aucune victime ne pouvait être identifiée. Il n’existait aucune preuve indiquant à qui les pots-de-vin avaient été versés et si les pots-de-vin avaient causé un préjudice économique. La Cour supérieure a accepté ces faits et a conclu qu’il n’était ni possible ni faisable d’identifier, d’aviser ou d’indemniser les victimes des comportements criminels de la Société.

  2. Les tiers ne peuvent intervenir en tant que victimes lors du processus d’approbation. Lors du processus d’approbation de l’accord de réparation, l’agent intermédiaire a déposé une demande écrite à titre d’intervenant pour faire valoir sa demande d’indemnisation à titre de victime du comportement de la Société. La Cour supérieure a rejeté la demande au motif que les tiers n’ont pas qualité pour participer au processus d’approbation d’un accord de réparation. La Cour supérieure a fondé sa décision sur le libellé du Code criminel, lequel limite expressément la participation au processus d’approbation au poursuivant et à l’accusé. De plus, la Cour supérieure a noté que le fait de permettre aux tiers de participer à ce processus pourrait éventuellement faire dérailler ce dernier et nuire au procès criminel connexe visant les dirigeants de la Société.

  3. La décision établit des points de référence pour les pénalités. Il a été ordonné à la Société de payer un montant total d’environ 10 M$ CA, ce qui correspond à environ 60 % de ses ventes brutes aux Philippines. Ce montant comprend la saisie de la valeur estimée des pots-de-vin versés à la Police nationale des Philippines (3,3 M$ CA), une sanction pénale (6,6 M$ CA) et une suramende compensatoire calculée conformément aux dispositions pertinentes du Code criminel (660 000 $ CA). La Société doit aussi respecter certains engagements en matière de conformité et retenir les services d’un vérificateur externe. Pendant une période de trois ans, ce vérificateur évaluera l’efficacité opérationnelle du programme de lutte contre la corruption et les pots-de-vin de la Société et produira un rapport de cette évaluation à l’intention du SPPC.

DISCLAIMER: Because of the generality of this update, the information provided herein may not be applicable in all situations and should not be acted upon without specific legal advice based on particular situations.

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