Article 212 du CGI : Le Conseil d’tat se penche sur la question du taux de march

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Par une décision du 19 juin 2017 (n° 392543, GE Money Bank), abondamment commentée, le Conseil d’État avait, de façon pragmatique, jugé que le taux de marché par référence auquel il convient d’apprécier si une société a emprunté à un juste prix à une autre entreprise du groupe auquel elle appartient doit être évalué par référence à la situation intrinsèque de cette société. Il avait affirmé qu’en cette matière, il n’existe pas de garantie implicite accordée par le groupe dont il conviendrait de tenir compte pour déterminer le taux auquel la société aurait pu emprunter auprès d’établissements financiers indépendants. Affirmée au sujet d’un redressement établi sur le fondement de l’article 57 du CGI, cette jurisprudence vient de trouver une illustration, sur le terrain cette fois de l’article 212 du même code (CE 18 mars 2019, n° 411189, SNC Siblu).

La SNC Siblu avait rémunéré à un taux supérieur au taux d’intérêt légal du 3° du 1 de l’article 39 du CGI diverses avances qui lui avaient été consenties par les sociétés de son groupe chargées de porter les dettes contractées auprès de la banque Barclays. Pour démontrer que ce taux n’était pas supérieur à celui qu’elle aurait obtenu auprès d’un établissement financier indépendant, la société avait soutenu qu’il correspondait exactement au taux prévu, pour les divers besoins couverts par ces avances, dans le contrat de financement du groupe auprès de la banque Barclays.

Le Conseil d’État a confirmé sur ce point la position prise par la cour administrative d’appel de Bordeaux, en faisant application de sa jurisprudence GE Money Bank, mais cette fois dans un sens défavorable au contribuable. C’est en effet au regard des caractéristiques propres de la société emprunteuse et non de celles du groupe de sociétés auquel elle appartient qu’il convient de se placer pour déterminer le taux d’intérêt auquel elle aurait pu s’endetter auprès d’établissements financiers indépendants. Le Conseil d’État confirme également un autre point de l’arrêt, qui reprochait à la SNC Siblu d’avoir argumenté sur le taux moyen auquel elle avait rémunéré les différentes avances qui lui avaient été consenties, en jugeant qu’il faut en outre raisonner emprunt par emprunt, en fonction des caractéristiques propres à chaque avance. 

Mais la décision du 18 mars 2019 est riche d’autres enseignements s’agissant de deux points sur lesquels l’administration se montre particulièrement sévère dans sa mise en œuvre de l’article 212 du CGI.

En premier lieu, alors que cet article définit le taux de marché comme celui que l’entreprise emprunteuse « aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues », on sait que le fisc remplace le conditionnel passé par le passé composé de l’indicatif, en exigeant comme mode de preuve du taux de marché la production par la société emprunteuse d’une offre de prêt bien réelle et contemporaine du prêt intra-groupe finalement accordé. Si le Conseil d’État avait souscrit à cette thèse, il aurait pu constater simplement dans l’affaire SNC Siblu – sur la base d’éléments que la cour administrative d’appel avait relevés, et qui n’appelaient donc de sa part aucune appréciation des faits - qu’aucune offre de prêt de cette nature n’avait été produite en l’espèce : il aurait pu fermer le ban pour ce motif.

S’il n’a pas expressément tranché cette question, essentielle pour les praticiens, le Conseil d’État a malgré tout adopté un raisonnement dont l’approche de l’administration sort nécessairement fragilisée. Il juge en effet qu’il ne suffit pas, pour la société emprunteuse, d’affirmer qu’aucun établissement financier ne lui aurait jamais consenti aucun emprunt pour démontrer la justesse du taux des intérêts qu’elle a servis aux sociétés du groupe qui lui ont accordé des avances. Cette impossibilité était pourtant étayée, en l’espèce, par la circonstance que la SNC Siblu avait apporté l’ensemble de ses actifs en nantissement du contrat de financement conclu par le groupe auprès de la banque Barclays. Or si la caractérisation de l’impossibilité d’emprunter auprès d’établissements financiers indépendants ne suffit pas à établir le niveau du taux de marché, c’est bien le signe qu’il y a une autre façon de le faire, qui ne saurait, par construction, correspondre dans ce cas de figure à une offre de prêt ferme contemporaine de l’emprunt. Pour le Conseil d’État, un conditionnel ne saurait donc être remplacé par un indicatif… On soulignera que cette approche réaliste est celle que le juge de l’impôt retient habituellement lorsqu’il s’agit de prouver le caractère normal d’un prix : s’il est toujours moins aisé de le reconstituer a posteriori, ce mode de preuve n’est pas, par principe, exclu par le Conseil d’État.

En second lieu, on sait également que l’administration retient de la notion d’ « établissements ou organismes financiers » mentionnés à l’article 212 du CGI une approche très restrictive, puisqu’elle considère qu’il ne peut s’agir que d’établissements bancaires. Cette question, particulièrement sensible dans les opérations de rachat par effet de levier (LBO), n’était pas en litige devant le Conseil d’État, qui la tranchera le jour où elle lui sera soumise. Toutefois, il n’est pas inutile de relever qu’en validant les motifs de l’arrêt de la CAA de Bordeaux, le Conseil d’État répond à la société Siblu, qui s’était bornée à verser au dossier des extraits de revues financières présentant des moyennes de taux pratiqués pour des opérations de LBO, que ces éléments sont sans lien avec la situation propre de la société emprunteuse. Ici encore, il aurait pu s’en tenir à une position de principe, en jugeant que constituent seules des modalités de preuve des données émanant d’établissements de crédit. En réservant la question, le Conseil d’État n’exclut pas à ce stade que le taux de marché puisse être approché par d’autres références, pour peu qu’en définitive, ces éléments soient de nature à convaincre le juge de l’impôt que le taux retenu est celui que l’emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou organismes financiers indépendants.

Cette approche à la fois réaliste et pragmatique est dans la ligne de celle que le Conseil d’État avait retenue dans l’affaire GE Money Bank. Par cette décision, il avait exposé, par un long considérant de principe qui reprend de façon saisissante les mêmes termes que ceux de l’article 212, comment il convient de procéder pour reconstituer le taux de marché que l’emprunteuse aurait pu obtenir, en ajoutant au taux sans risque applicable à des prêts du même type une prime de risque reflétant au plus près la capacité du débiteur à rembourser sa dette au créancier jusqu’à l’échéance. Or il n’est à aucun moment question, dans cette décision, de limiter l’approximation du taux de marché à la seule observation des taux pratiqués par les établissements bancaires.

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