Hygiène, sécurité et conditions de travail / Sélection de jurisprudence – France / Premier semestre 2022

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Cette newsletter revient sur quatre décisions notables en matière d’hygiène, sécurité et conditions de travail :

L’obligation de prévention du harcèlement moral est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle (Cass. soc., 5 janvier 2022, n°20-14.927)

La lutte contre toutes les formes de violence au travail continue d’occuper les juridictions sociales. L’importance conférée à la prévention ne cesse de se préciser. Cette affaire en donne une illustration.

Un salarié informe sa hiérarchie par écrit de sa souffrance au travail, de son incompréhension face à son absence d’évolution de carrière et de la réaction disproportionnée et violente du président de l’entreprise à son égard lors d’un récent incident.

L’employeur ne prend cependant aucune mesure.

Licencié par la suite, le salarié saisit la juridiction prud’homale. Il sollicite notamment le paiement de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des agissements de harcèlement moral et, subsidiairement, manquement à l’obligation de sécurité.

La cour d’appel le déboute de ses demandes. Elle estime que l’intéressé ne se trouvait pas dans une situation de harcèlement moral et qu’il ne pouvait dès lors venir réclamer une quelconque indemnisation à son ancien employeur pour un prétendu manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral.

Le salarié se pourvoit en cassation. Il fait valoir que l’obligation de prévention du harcèlement moral est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle.

La Cour de cassation lui donne raison. Elle retient que l’ancien employeur a effectivement manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral en s’abstenant d’agir après avoir été informé par le salarié d’agissements susceptibles de caractériser un tel harcèlement, peu important qu’en définitive les faits n’aient pas revêtu une telle qualification.

Cette décision rappelle aux employeurs qu’ils doivent réagir sans délai dès lors que leur sont signalés des faits susceptibles de caractériser un harcèlement, notamment par le déploiement d’investigations internes et de mesures conservatoires.


Le déploiement de règles susceptibles d’avoir des conséquences sur les conditions de travail commande la consultation du CSE, même lorsque ces règles s’imposent à l’employeur (Cass. soc., 21 avril 2022, n°20-19.063)

L’identification des situations nécessitant la consultation du comité social et économique (CSE) est un casse-tête récurrent pour les employeurs. Qu'en est-il lorsque l’employeur n’a pour seul rôle que de mettre en œuvre dans l’entreprise de nouvelles règles qui s’imposent à lui ? C'est à cette question que répond cette affaire.

L’employeur devait en l’occurrence déployer de nouvelles conditions d’exécution du travail élaborées par les instances professionnelles de son secteur d’activité. Ces nouvelles règles s’imposaient à lui, sans qu’il dispose d’une quelconque marge de manœuvre. Estimant que ce caractère contraignant et cette absence de latitude dans l’implémentation des nouvelles règles ne permettaient pas une consultation utile du CSE, l’employeur les met en œuvre sans solliciter l’avis du CSE.

Le CSE saisit alors le juge, notamment aux fins qu’il soit ordonné à l’employeur de le consulter préalablement au déploiement de toutes nouvelles conditions d’exécution du travail.

Pour sa défense, l’employeur avance que toute consultation du CSE doit revêtir un « effet utile » qui ne peut, d’après lui, que concerner un projet, une mesure envisagée ou une décision unilatérale de l’employeur. La mise en œuvre de normes à caractère réglementaire et non modifiable qui s’imposent à l’employeur ne pourrait donc pas donner lieu à une procédure d'information et de consultation préalable du CSE.

La cour d'appel donne cependant raison au CSE. L’employeur se pourvoit en cassation. Sans succès. Selon les juges, la mise en œuvre de toute règle de nature à affecter les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle au sein de l’entreprise doit faire l’objet d’une information-consultation préalable du CSE, peu important que leur mise en œuvre soit imposée à l’employeur et ne résulte pas d’une décision unilatérale de sa part.

Il ne faut pas oublier que la consultation du CSE porte non seulement sur la mesure envisagée, mais également sur ses répercussions, le CSE pouvant émettre un avis sur les conséquences de la mesure sur l’organisation du travail ou la formation du personnel par exemple. Une décision de justice à garder à l’esprit en cas de changement législatif affectant l’activité ou encore de changement de contrôle de l’entreprise, qui s’impose dans certaines hypothèses à l’employeur.


Le salarié qui a déménagé à plusieurs centaines de kilomètres de l’entreprise peut être licencié au nom de la protection de sa santé (CA Versailles, 10 mars 2022, n°20/02208)

Le développement du travail à distance a conduit de nombreux salariés à déménager depuis le confinement du printemps 2020. Certains ont choisi d’établir leur domicile à plusieurs centaines de kilomètres de leur entreprise. Cette situation soulève de multiples questions. Cette décision de justice répond à celle de savoir si le libre choix du domicile du salarié peut être entravé au nom de la protection de sa santé lorsque le salarié est appelé à travailler régulièrement au siège de l’entreprise.

Dans cette affaire, un salarié employé par une entreprise située en Ile-de-France déménage en Bretagne. Son employeur l’apprend et demande à l’intéressé de revenir en région parisienne. L’employeur se prévaut du contrat de travail, qui fixe l’activité du salarié au siège de l’entreprise. Il se fonde aussi sur l’incompatibilité du nouveau domicile du salarié avec leurs obligations de sécurité réciproques, en raison des déplacements professionnels induits par les fonctions du salarié. Le salarié refuse, ce qui conduit à son licenciement.

Le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour contester la résiliation de son contrat de travail. Il met en avant les faits que l’employeur était bien informé de son déménagement, que celui-ci n’a entraîné aucun retard ni aucun frais pour l’entreprise, et qu’il passait moins de 17 % de son temps au siège de l’entreprise, le reste constituant des déplacements professionnels. Sur le fond, il se prévaut de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, qui protège notamment la liberté de choisir son domicile.

La Cour d’appel de Versailles le déboute cependant de ses demandes et juge le licenciement valable et bien-fondé. Elle considère notamment que le salarié a commis une faute en déménageant à une distance excessive et en refusant de revenir à proximité du siège social de l’entreprise.

Pour fonder sa décision, la cour d’appel invoque l’obligation qui est faite à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Les juges rappellent aussi qu’il est fait obligation à chaque salarié de prendre soin de sa santé et de sa sécurité, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou omissions au travail, conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur. Enfin, la cour d’appel retient que l’employeur doit veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle (la durée du travail de l’intéressé se décomptait dans le cadre d’une convention de forfait en jours sur l’année). Les magistrats versaillais en concluent qu’au vu de ces prescriptions l’employeur n’a pas commis une atteinte disproportionnée au libre choix du domicile du salarié en lui demandant de se rapprocher du siège de l’entreprise.

Cette solution peut utilement être exploitée lorsqu’un salarié travaillant habituellement dans les locaux de l’entreprise déménage en un lieu significativement éloigné impactant fortement ses temps de trajet. En revanche, nous mettons en garde contre son exploitation face à des salariés travaillant habituellement voire exclusivement à distance.


Le délit de harcèlement moral ne peut être retenu que si l’employeur avait conscience que ses agissements entraînaient une dégradation des conditions de travail du salarié (Cass. crim., 22 février 2022, n°21-82.266)

Le délit de harcèlement moral est complexe à caractériser en droit pénal. Il implique la réunion d’un élément matériel et d’un élément intentionnel : les agissements doivent avoir effectivement dégradé les conditions de travail de la victime et l’auteur de l’infraction doit avoir eu conscience de commettre un harcèlement moral, de contrevenir à la loi pénale. Cette affaire apporte des précisions utiles sur la façon d’apprécier ce dernier élément.

Une salariée met fin à ses jours. Elle laisse derrière elle des éléments accusant son employeur de harcèlement moral et de non-respect de la législation sociale à son égard.

Ses ayants-droits et plusieurs syndicats professionnels déposent plainte, estimant que la surcharge de travail imposée à la salariée avait conduit à sa dépression puis à son suicide.

Pour sa défense, l’employeur avance avoir formulé plusieurs propositions afin de décharger l’intéressée de certaines tâches, ce à quoi la salariée se serait toujours opposée. Il se prévaut également de ce que la salariée s’était vu délivrer un avis d’aptitude récent par la médecine du travail. Il démontre aussi qu’aucun symptôme de dépression ou de dangerosité pour elle-même ne ressortait de son dossier médical. Il produit encore les témoignages de plusieurs salariés faisant état de l’absence de surcharge de travail ou de pressions.

Le délit de harcèlement moral n’est finalement pas retenu, au motif que la conscience de l’employeur d’aboutir à une dégradation des conditions de travail de la salariée n’est pas établie.

La chambre criminelle de la Cour de cassation est alors saisie. Elle confirme la décision des premiers juges : l’élément intentionnel de l’infraction, à savoir la conscience de dégrader les conditions de travail de la salariée, fait défaut. Si l’employeur savait que sa salariée acceptait des attributions supplémentaires sans allégement, il rapporte la preuve qu’il n’y avait chez lui aucune conscience d’aboutir à une dégradation de ses conditions de travail.
 

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