Naviguer dans les eaux juridiques : Rejet des réclamations pour nuisance contre un propriétaire de barrage hydroélectrique

Blake, Cassels & Graydon LLP
Contact

Le 26 février 2024, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour d’appel ») a rendu sa décision dans l’affaire Thomas and Saik’uz First Nation v. Rio Tinto Alcan Inc., confirmant le rejet par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») des réclamations pour nuisance présentées par deux Premières Nations (les « appelantes ») contre un propriétaire privé d’un barrage hydroélectrique sur la rivière Nechako, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique.

À la suite d’un procès de 189 jours, la CSCB a statué que le propriétaire du barrage, Rio Tinto Alcan Inc. (« RTA »), n’était pas responsable de nuisances privée et publique puisque cette dernière avait invoqué le moyen de défense de pouvoir d’origine législative (la « défense de pouvoir d’origine législative ») en démontrant que les répercussions de son barrage sur les poissons ou les pêches – et donc le droit ancestral de pêcher invoqué par les demandeurs – étaient « le résultat inévitable » (the inevitable result) de l’exploitation du barrage conformément aux autorisations gouvernementales. Pour en savoir davantage, consultez notre Bulletin Blakes de janvier 2022 intitulé B.C. Supreme Court Dismisses Aboriginal Rights-based Claim Against Private Owner of Historic Dam (disponible en anglais seulement).

La Cour d’appel a confirmé la conclusion de la CSCB. Cette décision vient établir l’approche qu’adopteront désormais les tribunaux de la Colombie-Britannique, et possiblement ceux d’ailleurs au Canada, à l’égard de l’ingérence alléguée de parties privées dans les droits ou les titres ancestraux. Par conséquent, elle entraîne d’importantes répercussions non seulement sur les propriétaires et exploitants d’infrastructures en territoire autochtone, mais aussi sur les Premières Nations elles-mêmes.

Analyse

Fondement d’une réclamation pour nuisance sur des droits ancestraux

Devant le tribunal de première instance et la Cour d’appel, RTA a soutenu que seul un droit de propriété peut entraîner la responsabilité pour nuisance et, étant donné que les appelantes n’étaient propriétaires ni des pêcheries sur la rivière Nechako, ni des poissons s’y trouvant, leur droit ancestral ne pouvait fonder une réclamation pour nuisance. La Cour d’appel a rejeté cet argument et, à l’instar du juge de première instance, a conclu qu’une « perspective élargie » (a broader perspective) était requise à l’égard de la nuisance. De l’avis de la Cour d’appel, la nature unique des droits ancestraux, l’importance de ces derniers dans le contexte de la réconciliation, et le fait que les droits ancestraux des Premières Nations visaient des terres particulières constituaient des éléments suffisants pour fonder une réclamation pour nuisance.

La Cour d’appel a toutefois précisé que ce ne sont pas tous les droits ancestraux qui accordent à leur titulaire le droit d’intenter des poursuites pour nuisance. Selon la Cour d’appel, toute analyse visant à déterminer si un droit ancestral est suffisant pour étayer une réclamation pour nuisance serait nécessairement contextuelle et fondée sur les faits propres à chaque cas. En l’espèce, le juge de première instance était en droit de conclure que les appelantes avaient un intérêt propriétal suffisant pour étayer une réclamation pour nuisance, car elles alléguaient une atteinte extrême et unique à leurs droits de pêche qu’elles avaient tenté de régler pendant plusieurs décennies et leurs droits étaient exercés sur des sites de pêche traditionnels adjacents à leurs terres de réserve, pour lesquelles elles avaient un droit d’occupation exclusive. Par conséquent, dans d’autres affaires, les Premières Nations pourraient ne pas avoir le droit d’intenter une poursuite pour nuisance si leurs droits ancestraux ne sont pas suffisamment rattachés à leurs terres de réserve, ou encore aux terres et aux eaux sur lesquelles elles détiennent un titre ancestral.

Défense de pouvoir d’origine législative

La défense de pouvoir d’origine législative dégage un défendeur d’une responsabilité fondée sur la nuisance lorsqu’un gouvernement a autorisé expressément ou implicitement qu’une chose soit faite à un endroit donné et que la nuisance connexe résulte inévitablement de la réalisation de la chose ainsi autorisée. Le fardeau d’établir le caractère inévitable du résultat de la chose autorisée incombe au défendeur, mais le critère du caractère inévitable de la nuisance est évalué en fonction de la possibilité pratique de réalisation à l’époque, et non de ce qui est théoriquement possible.

En appel, les appelantes ont soutenu que le juge de première instance avait commis deux erreurs en concluant que la défense de pouvoir d’origine législative s’appliquait en l’espèce pour dégager RTA de sa responsabilité à l’égard de la nuisance :

  1. il avait mal interprété les exigences relatives à la composante du « résultat inévitable » de la défense invoquée puisqu’il avait conclu que le préjudice équivalant à une nuisance était le « résultat inévitable » du pouvoir d’origine législative de RTA, tout en refusant de déterminer s’il existait, à l’intérieur de la fourchette des taux de rejet d’eau autorisés par le permis d’exploitation hydraulique de RTA, des solutions de rechange réalisables qui permettraient d’éviter la nuisance;
  2. il avait déterminé que la défense était applicable, malgré le fait que le régime législatif violait de manière injustifiée les droits ancestraux et était donc inconstitutionnel.

La Cour d’appel a statué qu’il n’y avait pas d’erreur susceptible d’examen dans la conclusion du juge de première instance selon laquelle la défense de pouvoir d’origine législative s’appliquait. Ce faisant, elle a affirmé que, lorsque les autorisations gouvernementales portent – expressément ou implicitement – sur les travaux, les activités ou les comportements précis visés par une réclamation, le gouvernement sera considéré comme ayant autorisé la nuisance qui en est une conséquence inévitable. Dans de tels cas, les défendeurs n’ont pas à établir qu’il n’existe aucune autre solution pratique et raisonnable que de procéder de la manière autorisée. La Cour d’appel s’est rangée du côté du juge de première instance pour conclure que la question des solutions de rechange pratiques et réalisables ne s’imposait pas en l’espèce, car RTA avait obtenu l’autorisation et des directives précises pour la construction et l’exploitation du barrage, le détournement de l’eau, ainsi que pour les rejets d’eau (les directives précisaient notamment le volume des rejets d’eau et les moments auxquels ces rejets devaient avoir lieu) dans la rivière Nechako.

La Cour d’appel a également refusé de donner effet au deuxième argument des appelantes selon lequel la défense de pouvoir d’origine législative était constitutionnellement inapplicable. Par conséquent, la Cour d’appel a confirmé que RTA avait établi une défense pleine et entière à l’égard des réclamations contre elle.

Recours contre l’État : Répercussions possibles sur la réglementation future des projets

Bien que la Cour d’appel ait rejeté l’appel pour ce qui est des réclamations pour nuisance contre RTA, elle a accueilli l’appel en ce qui a trait à la portée du jugement déclaratoire prononcé par le juge de première instance contre les deux autres défendeurs dans l’affaire, soit le gouvernement de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral. Elle a statué que le juge de première instance avait commis une erreur de principe en concluant que des décisions antérieures l’empêchaient de prononcer des jugements déclaratoires plus précis et plus directifs. Par conséquent, la Cour d’appel a modifié la déclaration prononcée par le juge de première instance afin d’ordonner aux gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique : a) de consulter les appelantes si les mesures prises par ces gouvernements dans la gestion du régime d’écoulement de la rivière Nechako risquent d’avoir de nouvelles répercussions défavorables sur les droits ancestraux; et b) de protéger le droit ancestral de pêcher des appelants en veillant à ce que la participation continue des gouvernements à la gestion du régime d’écoulement de la rivière Nechako soit essentiellement conforme aux exigences prévues à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’article de la Constitution du Canada qui reconnaît et confirme les droits existants des peuples autochtones canadiens, à savoir les droits ancestraux et issus de traités.

Points à retenir

Cette décision fournit des indications supplémentaires aux Premières Nations et aux utilisateurs des terres dont les activités peuvent entraîner des répercussions sur les droits ancestraux. De tels utilisateurs peuvent être tenus responsables de ces répercussions en l’absence d’une défense valable. Toutefois, la décision de la Cour d’appel établit une protection contre une telle responsabilité dans la mesure où les défendeurs peuvent démontrer que leurs activités sont autorisées par le gouvernement et qu’elles sont conformes aux contraintes imposées par ces autorisations, de sorte que toute nuisance ou intrusion alléguée serait le résultat inévitable de l’activité autorisée.

D’un point de vue plus fondamental, cette décision démontre que les tribunaux canadiens demeurent réticents à imposer une responsabilité aux parties privées qui se sont appuyées sur des autorisations gouvernementales pour exercer leurs activités. Par conséquent, la responsabilité des violations des droits et titres ancestraux continuera d’incomber aux gouvernements fédéral et provinciaux dans de tels cas. Néanmoins, les décisions des tribunaux à l’égard des recours contre l’État pourraient avoir des répercussions importantes pour les utilisateurs des terres et les Premières Nations dans la mesure où elles auraient une incidence sur la réglementation gouvernementale des activités d’exploitation des projets ou sur les décisions gouvernementales en matière d’octroi de permis découlant de changements proposés aux activités ou aux travaux existants.

DISCLAIMER: Because of the generality of this update, the information provided herein may not be applicable in all situations and should not be acted upon without specific legal advice based on particular situations.

© Blake, Cassels & Graydon LLP | Attorney Advertising

Written by:

Blake, Cassels & Graydon LLP
Contact
more
less

Blake, Cassels & Graydon LLP on:

Reporters on Deadline

"My best business intelligence, in one easy email…"

Your first step to building a free, personalized, morning email brief covering pertinent authors and topics on JD Supra:
*By using the service, you signify your acceptance of JD Supra's Privacy Policy.
Custom Email Digest
- hide
- hide