Santé, sécurité et conditions de travail / Sélection de jurisprudence – France / Second semestre 2023

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  • Quand l’imminence du licenciement du salarié confère à sa tentative de suicide un caractère professionnel et la qualifie d’accident du travail (Cass. civ., 2e ch., 1er juin 2023, n°21-17.804 D)

Un salarié se voit reprocher une faute grave par son employeur. S’agissant d’un représentant syndical, l’inspecteur du travail doit approuver son licenciement. Le jour suivant l’obtention de cette autorisation, le salarié tente de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail mais en dehors de ses horaires de travail. Son geste est motivé dans une lettre d’adieu, laquelle fait état de persécutions et de harcèlement au travail en raison de l’exercice de son mandat syndical. S’en suit un litige sur le caractère professionnel de sa tentative de suicide.

Les autorités de sécurité sociale et la cour d’appel écartent la qualification d’accident du travail. L’état dépressif préexistant du salarié, qui est antagoniste avec un événement soudain, est classiquement mis en avant. Mais c’est surtout l’intention manifeste du salarié de conférer la plus large publicité à son acte qui semble décisive ici. Cette démarche réfléchie et volontaire excluant la reconnaissance d’un accident.

La Cour de cassation ne l’entend cependant pas ainsi et censure l’arrêt d’appel. Rappelant que l’on qualifie d’accident du travail tout accident survenu non-seulement à l'occasion mais aussi par le fait du travail, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir tiré de conséquence de ce que la tentative de suicide était survenue alors que le licenciement était imminent, ce qui indiquait selon elle un lien avec le travail. L’affaire sera rejugée.

  • Un accident du travail ne peut reposer sur les seules affirmations du salarié (CA Dijon, 3 août 2023, n°21/00080)

24 heures après un entretien avec son supérieur hiérarchique, une salariée présente à son employeur un certificat médical faisant état d’une dépression réactionnelle de type burn-out. Malgré l’expression de réserves par l’entreprise quant à l’existence même d’une quelconque altercation entre la salariée et son supérieur, la caisse primaire d’assurance maladie conclue à un accident du travail. Une qualification que l’employeur conteste.

Pour que la décision de la caisse lui soit déclarée inopposable, l’employeur dénonce en particulier l’absence de témoin susceptible de corroborer ou d’infirmer les faits.

Un argument retenu par la cour d’appel, laquelle rappelle que les seules allégations de la victime, quelle que soit sa bonne foi ou son honorabilité, sont insuffisantes à qualifier un accident du travail en l’absence de témoin direct des faits.

  • Les salariés absents pour maladie ou accident bénéficient de congés payés, sans plafonnement (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340 à 22-17.342, 22-17.638 et 22-10.529, 22-11.106)

Le code du travail français n'est pas conforme au droit communautaire en matière de congés payés. Le droit de l'Union européenne prévoit un droit à congés payés d'au moins quatre semaines, sans distinguer selon l'origine des absences, c'est-à-dire y compris en cas d'arrêt maladie. En France, les salariés n'acquéraient jusqu'ici aucun droit à congés payés pendant leurs absences pour maladie non-professionnelle. Les absences pour accident du travail ou maladie professionnelle étaient quant à elles assimilées à du temps de travail effectif pour l'acquisition des congés payés, mais dans la limite d'une durée d'un an uniquement.

Ces contradictions étaient connues. Elles ne portaient toutefois pas à conséquence jusqu'à récemment. En effet, la jurisprudence ne permettait pas à un salarié d'invoquer les textes communautaires sur les congés payés pour en réclamer à son employeur. La Cour de cassation appelait cependant à une mise en conformité du droit français, sans succès. Elle s'est donc saisie du sujet d'autorité, à l'occasion de trois affaires.

Dans la première de ces affaires, il était question d'arrêts pour maladie non-professionnelle. Trois salariés revendiquaient l'acquisition de congés payés pendant leurs absences. Leur employeur s'y opposait en invoquant le droit français, bien que celui-ci soit contraire au droit communautaire.

Dans la deuxième affaire, l'arrêt de travail était consécutif à un accident du travail. Un salarié contestait ne plus pouvoir acquérir de congés payés au-delà d'une année ininterrompue d'absence. L'employeur se référait là encore au droit français, à nouveau contraire au droit communautaire.

Dans la troisième affaire, c'est la prescription qui faisait débat. Une salariée contestait que la prescription triennale en paiement de l'indemnité de congés payés commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle le droit à congé était né, alors qu'elle n'avait pas été mise en mesure d'exercer effectivement son droit à congés payés par son employeur puisqu'elle était absente.

Dans tous ces litiges, la Cour de cassation a accédé aux demandes des salariés. Désormais, les règles sont donc les suivantes :

- un salarié acquiert des droits à congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie ou accident, que cette maladie ou cet accident soient d'origine professionnelle ou non ;

- l'acquisition de congés payés vaut pour toute la durée de l'arrêt de travail ; et

- le délai de prescription de l'indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l'employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d'exercer effectivement son droit à congé payé.

La jurisprudence est rétroactive, si bien que ces décisions peuvent être invoquées dans des litiges se rapportant à des périodes antérieures au 13 septembre 2023.

Les réactions se multiplient en France face à ces revirements de jurisprudence. À la date à laquelle nous rédigeons cette newsletter, le gouvernement projette de soumettre une loi au Parlement pour en limiter les impacts au début de l'année 2024.

  • L'employeur ne peut pas s'affranchir de son obligation de sécurité en confiant à un tiers le soin d'assurer cette sécurité (Cass. civ., 2e ch., 16 novembre 2023, n° 21-20740 FB)

Dix personnes perdent la vie sur le tournage d’un jeu télévisé lors de la collision en vol de deux hélicoptères. La qualification d’accident du travail est retenue. L’ayant droit de l’une des victimes saisi la justice pour faire reconnaître en outre une faute inexcusable de l’employeur, la société de production audiovisuelle.

Pour sa défense, l’employeur avance avoir pris toutes les mesures de précaution nécessaires en confiant la sécurité de ses salariés pour les tournages aériens à deux sociétés spécialisées, dont l’une est dirigée par un professionnel hautement spécialisé et expérimenté.

En vain. Tant la cour d’appel que la Cour de cassation concluent à la faute inexcusable. L’obligation de sécurité est attachée à l’employeur. Celui-ci ne peut s’en décharger sur une société tierce. Ce d’autant lorsqu’il avait conscience du risque à l’origine directe et certaine de l’accident, et que les prestataires en charge de la sécurité étaient demeurés sous sa supervision, sa direction et son contrôle.

  • L’employeur doit prendre garde à la rédaction de l’avis d’inaptitude du médecin du travail (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-12.970)

Un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail. La maladie est d’origine non-professionnelle. L’avis d’inaptitude précise que : « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». Sans accomplir d’autre démarche, l’employeur licencie le salarié pour inaptitude et impossibilité de pourvoir à son reclassement. L’intéressé conteste ce licenciement.

A raison, car le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Pour les juges, l’employeur ne peut s’exonérer de toute recherche de reclassement et s’abstenir de consulter les représentants du personnel à ce sujet qu’à la condition que l’avis d’inaptitude fasse expressément état de l’une ou l’autre des deux mentions suivantes : « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Tel n’était pas le cas dans cette affaire, où l’avis d’inaptitude faisait référence non pas à une impossibilité générale de travailler mais à un maintien préjudiciable du salarié dans l’entreprise. Une lecture stricte des textes qui appelle à la plus grande vigilance.

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